mardi 18 janvier 2011

EC sur OJALMA via DLS de JF


Donc, de nouveau, un grand merci à E(mmanuelle) C(aminade) proposant ici un point de vue sur "Où J'Ai Laissé Mon Âme" via "Dans Le Secret" de J(érôme) F(errari) !

Bonne lecture, bonne discussion, en quelque langue que ce soit !


Dans le secret / Où j'ai laissé mon âme

S'il est un roman duquel se rapproche Où j'ai laissé mon âme, c'est bien Dans le secret , ne serait-ce que parce qu'il était jusqu'ici, à mon sens, le livre le plus noir de Jérôme Ferrari. Très sombre mais pas totalement sans espoir, comme son dernier roman...


Les frères Nicolaï ont bien des caractères communs avec André Degorce.

Lâches, ils se sont chacun réfugiés dans la fuite et le mensonge et ils sont brutalement contraints à regarder la vérité dans un face à face angoissant avec eux-mêmes, et à endosser leur responsabilité. Antoine Nicolaï, tout comme André Degorce, ne parvient pas à surmonter ses contradictions et sa honte, et à parler avec sa femme, préférant se perdre et s'enfoncer dans la solitude.

Curieusement, Jérôme Ferrari illustre cette impossible communication de la même manière dans les deux romans. Le passage au "je" souligné par un texte en italique entre parenthèses qui exprime le discours avorté de Degorce à son épouse reprend le procédé stylistique qu'il avait utilisé dans Dans le secret pour traduire le discours supposé de Lucille à son mari – dans ses rêveries - :


(...) Il ferma les yeux. Quand il les rouvrit, Lucille était devant lui, dans un fauteuil, la robe remontée sur son ventre nu, et elle mettait sur les accoudoirs d'abord une jambe, puis l'autre, et elle le fixait dans cette posture ignoble qui lui allait si mal, et un homme encore indiscernable s'approchait d'elle, et Antoine tourna la tête et elle était maintenant allongée sur le dos, en train de pousser des gémissements qu'il n'avait jamais entendus, et il regretta que l'âme n'ait ni yeux ni oreilles qu'on pût boucher, il regretta que la conscience ne fût actionnée par aucun interrupteur palpable (ou encore ceci – « Je t'ai trompé avec un homme que j'aime et je me rends compte, après toutes ces années au cours desquelles tu t'es évertué à me le cacher, juste après que tu viens de me baiser dédaigneusement , que c'est mieux, beaucoup mieux avec quelqu'un qu'on aime, et que je ne t'ai jamais aimé et c'est incroyable combien C' EST QUAND MÊME MIEUX QUAND ON EST AMOUREUSE ») et il se sentit étouffer sans mourir, submergé par le ressac, incapable de dire un seul mot à qui que ce soit de cette torture, et surtout pas à Lucille, incapable de rentrer chez lui, de regarder ses enfants, incapable de rester ici, à bondir d'une explication à l'autre, à souffrir de l'une puis de l'autre, sans répit, sans comprendre encore qu'il ne s'agissait plus d'infidélité conjugale mais, déjà, d'une lutte contre le chaos et d'un sursis qui s'achevait.(...)

(Dans le secret, p.26 )


Quant au thème de la rédemption, il éclaire la noirceur de ces deux romans. Et Où j'ai laissé mon âme me semble répondre à ce magnifique passage sur l'évocation de la procession du Vendredi Saint par Guido que je vous avais proposé cet été et dont je reprends un court extrait :


(...)C'était pour le Vendredi saint, quand nous pleurons la mort de Notre-Seigneur Jésus avant de fêter sa résurrection. Les confrères chantent, ce jour-là, qui est pour eux un jour sacré entre tous, peut-être plus que Noël que nous célébrerons bientôt. Ils chantent le psaume cinquante Miserere mei Deus, en polyphonie, à quatre – ces quatre-là sont choisis par le prieur et c'est l'honneur de leur vie. Et sais-tu ce que j'ai entendu ?
- Non, dit l'enfant plein de curiosité, dites-le moi. - Eh bien, ils étaient quatre à chanter mais j'ai entendu, et tous les chrétiens réunis ce jour-là l'ont entendu comme moi, une cinquième voix ... - Est-ce possible ? - Je l'ai entendue. Tu as confiance en ma parole ? - Oui, oui, bien sûr. C'était une cinquième voix qui planait bien haut au-dessus des autres. Les confrères la nomment sa quintina. C'est une voix d'une pureté bien au-delà des capacité de l'homme, déchu et cependant pas tout à fait abandonné. (...)
(Dans le secret, p.48/49)


Sans doute Jérôme Ferrari a-t-il, comme Guido et l'enfant, «bien travaillé» si des lecteurs sont parvenus à l'entendre ...

Le psaume 50 Miserere mei Deus :
http://gloria.tv/?media=60073

Emmanuelle Caminade.

(la photo)

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